Les démons de Davos

Davos est la ville du Forum économique mondial :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Davos

https://fr.wikipedia.org/wiki/Forum_économique_mondial

et c’est en même temps le lieu où se déroule le roman de Thomas Mann « La montagne magique « , écrit entre 1912 et 1923 :

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Montagne_magique

J’ai écrit plusieurs articles sur cette œuvre hermétique, sans doute l’une des plus importantes de notre époque, voire même de tous les temps :

https://espacehott.wordpress.com/2022/08/03/neige-le-sommet-du-grand-oeuvre-hermetique-de-thomas-mann-la-montagne-magique/

https://ahrimanfaust.wordpress.com/2012/06/20/la-montagne-magique-ahriman-lucifer-et-lanthroposophie/

Et la fin grandiose et admirable du livre figure dans cet article :

https://anthroposophiephilosophieetscience.wordpress.com/2016/10/22/cochetbrunschvicg-6-la-conversion-de-la-chair-a-lesprit-dans-le-temps-hermetique/

liant explicitement l’intrigue du roman et le Temps, qui est devenu peu à peu le thème principal de ce blog.

Le roman se clôt sur les champs de bataille de la première guerre mondiale, sur cette interrogation « métaphysique « pourrait on dire :

« De cette fête de la mort, elle aussi, de cette mauvaise fièvre qui incendie à l’entour le ciel de ce soir pluvieux, l’amour s’élèvera-t-il un jour ?
FINIS OPERIS. »

Qui ne peut être comprise qu’à la lumière des lignes qui précèdent, et résument le livre :

« Des aventures de la chair et de l’esprit qui ont élevé ta simplicité t’ont permis de surmonter dans l’esprit ce à quoi tu ne survivras sans doute pas dans la chair. Des instants sont venus où dans les rêves que tu gouvernais un songe d’amour a surgi pour toi, de la mort et de la luxure du corps. »

J’ai donné depuis longtemps mon interprétation de ce livre, à la lumière de cette fin « énigmatique « , interprétation qui constitue l’ossature, le « squelette « dirais je presque en forme de défi, de la « doctrine » qui est présentée ici :

L’amour dont Thomas Mann demande si s’élèvera un jour, c’est l’amour intellectuel de Dieu, l’unique vérité dont Dieu ait à nous instruire, qui identifie l’expansion infinie de l’intelligence, dans la science et la philosophie, et l’absolu désintéressement de l’amour, dont un exemple est donné dans l’amour des parents pour les enfants ( et c’est la raison pour laquelle l’inceste et la pédophilie sont condamnés aussi fortement) :

https://espacehott.wordpress.com/2022/03/22/l-absolu-lunique-verite-dont-dieu-ait-a-nous-instruire/

Cet « amour intellectuel de Dieu » , qui est le thème principal du spinozisme « Amor Dei Intellectualis « , ne doit pas être confondu avec Eros, l’amour « classique « qui fait l’objet des romans de Gare comme des chansons populaires et des films de Claude Lelouch. Dans « La montagne magique « Hans Castorp vit une idylle avec Clawdia Chauchat, une pensionnaire du sanatorium, ils deviennent amants au cours d’une « nuit de Walpurgis », après laquelle Clawdia retourne en Russie ; elle reviendra quelques mois plus tard, accompagnée d’un richissime « protecteur « , Mynheer Pepperkorn, qui se suicidera quelques temps après : les deux amants , rendus à leur liberté, prendront alors la résolution d’un « Grand Renoncement « et Clawdia repartira, définitivement cette fois, alors que Hans ne quittera le sanatorium et la « montagne des péchés « que pour les champs de bataille de la guerre de 14-18 :

« Les atroces nouvelles montaient à présent directement des profondeurs du plat pays jusque dans sa loge de balcon, elles ébranlaient la maison, emplissaient la salle à manger de leur odeur de soufre qui oppressait la poitrine , et meme les chambres des grands malades et des motibonds. C’étaient ces instants où le dormeur allongé dans l’herbe, ne sachant pas ce qui lui arrivait, se redressait lentement avant de se mettre sur son séant et de se frotter les yeux…
…il se vit exorcisé, sauvé, délivré, non par ses propres forces, ainsi qu’il dut le constater à sa confusion, mais expulsé par des forces élémentaires et extérieures pour qui sa délivrance était tout accessoire. Mais encore que son petit destin se perdît dans le destin général, une certaine bonté qui le visait personnellement, une cartaine justice divine par conséquent, ne s’y exprimaient elles pas malgré tout? la vie prenait elle encore une fois soin de son enfant gâté, non pas d’une manière légère, mais de cette manière grave et sévère, au sens d’une épreuve qui, dans ce cas particulier, ne signifiait peut être justement pas la vie, mais trois salves d’honneur pour lui le pécheur. Et il tomba donc à genoux, le visage et les mains levés au ciel, qui était sombre et chargé de vapeurs de soufre, mais du moins n’était plus la voûte caverneuse de la Montagne des péchés

Et de par une transition abrupte, nous nous retrouvons, nous lecteurs, pauvre ombres qui vivons en sécurité (du moins le croyions nous avant 2001 et surtout 2015) un siècle plus tard, nous nous retrouvons sur le champ de bataille, pour un dernier adieu à ce brave Hans Castorp :

Où sommes nous? Qu’est ce que cela? Où nous a transportés le songe?
Crépuscule, pluie et boue, rougeur trouble du ciel incendié. Un sourd tonnerre résonne sans arrêt, emplit l’air humide, déchiré par des sifflements aigus, par des hurlements rageurs et infernaux…

…Ah, toute cette belle jeunesse avec ses sacs et ses baïonnettes, ses manteaux boueux et ses bottes ! On pourrait avec une imagination humaniste et enivrée de beauté rêver d’autres images. On pourrait se représenter cette jeunesse : menant et baignant des chevaux dans une baie, se promenant sur la grève avec la bien-aimée, les lèvres à l’oreille de la douce fiancée, ou s’apprenant avec une amicale gentillesse à tirer l’arc. Au lieu de cela, elle est couchée, le nez dans cette boue de feu. C’est une chose admirable et dont on reste confondu qu’elle s’y prête joyeusement, encore qu’en proie à a une inexprimable nostalgie de ses mères, mais ce ne devrait pas être une raison de la mettre dans cette situation.
Voici notre ami, voici Hans Castorp ! De très loin déjà nous l’avons reconnu à la barbiche qu’il s’est laissé pousser à la table des Russes ordinaires. Il brûle, transpercé par la pluie, comme les autres. Il court, les pieds alourdis par les mottes, le fusil au poing. Voyez, il marche sur la main d’un camarade tombé, sa botte cloutée enfonce cette main dans le sol marécageux criblé d’éclats de fer. C’est pourtant lui. Comment ? Il chante ? Comme on fredonne devant soi, sans le savoir, dans une excitation hébétée et sans pensée, ainsi il tire parti de son haleine entrecoupée et chantonne pour lui-même :
Ich schnitt in seine Rinde
So manches liebe Wort…
Il tombe. Non, il s’est jeté à plat ventre, parce qu’un chien infernal accourt, un grand obus brisant, un atroce pain de sucre des ténèbres. Il est étendu, le visage dans la boue fraîche, les jambes ouvertes, les pieds écartés, les talons rabattus vers la terre. Le produit d’une science devenue barbare, chargé de ce qu’il y a de pire, 
pénètre à trente pas de lui obliquement dans le sol comme le diable en personne, y explose avec un effroyable excès de force, et soulève à la hauteur d’une maison un jet de terre, de feu, de fer, de plomb et d’humanité morcelée. Car deux hommes étaient étendus là, c’étaient deux amis, ils s’étaient réunis dans leur détresse : à présent ils sont confondus et anéantis.

Ô honte de notre sécurité d’ombres ! Partons ! Nous n’allons pas raconter cela ! Notre ami a-t-il été touché ? Un instant il a cru l’être. Une grosse motte de terre a frappé son tibia, sans doute a-t-il eu mal, mais c’est ridicule. Il se redresse, il titube, avance en boitant, les pieds alourdis par la terre, chantant inconsciemment :
Und sei – ne Zweige rauschten Als rie – fen sie mir zu…
Et c’est ainsi que, dans la mêlée, dans la pluie, dans le crépuscule, nous le perdons de vue.
Adieu, Hans Castorp, brave enfant gâté de la vie ! Ton histoire est finie. Nous avons achevé de la conter. Elle n’a été ni brève ni longue, c’est une histoire hermétique. Nous l’avons narrée pour elle-même, non pour l’amour de toi, car tu étais simple. Mais en somme, c’était ton histoire, à toi. Puisque tu l’as vécue, tu devais sans doute avoir l’étoffe nécessaire, et nous ne renions pas la sympathie de pédagogue qu’au cours de cette histoire nous avons conçue pour toi et qui pourrait nous porter à toucher délicatement de la pointe du doigt le coin de l’œil, à la pensée que nous ne te verrons ni ne t’entendrons plus désormais.
Adieu ! Tu vas vivre maintenant, ou tomber. Tes chances sont faibles. Cette vilaine danse où tu as été entraîné durera encore quelques petites années criminelles et nous ne voudrions pas parier trop haut que tu en réchapperas. À l’avouer franchement, nous laissons assez insoucieusement cette question sans réponse. Des aventures de la chair et de l’esprit qui ont élevé ta simplicité t’ont permis de surmonter dans l’esprit ce à quoi tu ne survivras sans doute pas dans la chair. Des instants sont venus où dans les rêves que tu gouvernais un songe d’amour a surgi pour toi, de la mort et de la luxure du corps. De cette fête de la mort, elle aussi, de cette mauvaise fièvre qui incendie à l’entour le ciel de ce soir pluvieux, l’amour s’élèvera-t-il un jour ?

Le « songe d’amour « qui a surgi pour Hans c’est l’amour érotique pour Clawdia, « né de la mort et de la luxure du corps « .. mais Eros doit être supplanté par Amor Dei Intellectualis , Amour qui est le fond du christianisme des philosophes :

https://espacehott.wordpress.com/2022/07/26/connais-tu-bien-lamour-toi-qui-parles-daimer-limitation-de-jesus-christ-traduction-par-pierre-corneille/

https://espacehott.wordpress.com/2022/07/25/saint-paul-sans-lamour-je-ne-suis-quune-cymbale-qui-resonne/

J’utilise ce terme « christianisme des philosophes « que l’on trouve chez Brunschvicg et Spinoza car le christianisme a développé lui aussi une opposition entre Eros et Agapé, et Agapé ou charité n’est pas tout à fait superposable à Amor Dei intellectualis.

Est ce une coïncidence si Davos lieu de l’intrigue de « La montagne magique « est devenue la ville- symbole du Forum économique mondial et donc du Nouvel ordre mondial ?

Je ne le pense pas : l’amour intellectuel de Dieu est le plus haut accomplissement de l’humanité auquel on puisse penser , je dirais même le sens universel de la vie humaine dans le Temps, et cet Amour est l’antidote au poison de l’âme qu’est « la chute dans le temps », selon le titre de l’ouvrage de Cioran :

https://anthroposophiephilosophieetscience.wordpress.com/2021/03/01/amourintellectuel-lamour-intellectuel-comme-antidote-a-la-chute-dans-le-temps/

Le forum de Klaus Schwab est l’exact opposé démoniaque, comme l’était le nazisme il y a 80 ans, à cet Amour divin qui est le sens ultime de l’évolution

Laisser un commentaire